La couverture sanitaire universelle demeure une préoccupation mondiale notamment dans les pays en développement où les systèmes sanitaires présentent beaucoup de faiblesses. En 2023, un rapport de l’OMS1 sur la couverture sanitaire universelle indique que plus de la moitié de la population mondiale n’est toujours pas couverte par les services de santé essentiels. Le rapport va plus loin en indiquant qu’environ deux milliards de personnes rencontrent de graves difficultés financières lorsqu’elles doivent payer directement les services et les produits de santé dont elles ont besoin. En effet, la survenance de maladies entraine des dépenses directes pour les analyses médicales, les médicaments et autres prestations de soins de santé. Ces dépenses peuvent représenter une part importante du revenu des populations pauvres et vulnérables lorsqu’elles ne disposent pas d’une couverture sanitaire. Les paiements directs peuvent souvent dépasser 50 % des dépenses totales de santé dans certains pays à faible revenu où l’assurance maladie privée n’appartient n’est pas suffisamment développé2. L’assurance santé joue un rôle primordial dans l’accès aux soins et permet aux ménages, surtout les plus pauvres et ceux vivant en milieu rural, d’éviter des dépenses de santé catastrophiques3.
Le développement des mutuelles de santé et les défis qu’elles rencontrent dans les pays en développement
En l’absence de couverture sanitaire universelle, le secteur de la micro-assurance dans les pays en développement a connu l’essor des mutuelles de santé qui fournissent des services de micro-assurance santé adaptés aux personnes pauvres et vulnérables grâce à des frais d’adhésion et de cotisation modestes. Dans la majorité des cas, les mutuelles d’assurance contribuent à la protection financière de leurs bénéficiaires, en réduisant les dépenses directes de santé avec un effet positif sur l’épargne, les actifs et les habitudes de consommation des ménages4. Cependant, le développement des mutuelles de santé fait face à d’énormes défis dans les pays en développement. Au Togo, les défis sont essentiellement organisationnels avec l’absence de procédures digitalisées, la fréquence des litiges entre prestataires de soins sur les recouvrements, les faibles taux de renouvellement d’adhésion, etc., en milieu urbain tandis qu’en milieu rural les mutuelles font face à une faible couverture géographique ainsi qu’une faible capacité financière des populations5. Au Sénégal, Bonan & al. 2012 indiquent que les mutuelles de santé font face à de faibles taux d’adhésion qui s’expliquent très souvent par le manque d’informations, le manque de moyens et le manque de confiance6. D’autres défis sont le manque de confiance aux mutuelles, l’insuffisance de la communication sur les services des mutuelles et sur la compréhension de la micro-assurance santé ainsi que la faible attractivité des offres d’assurance santé qui sont proposées aux populations. En effet, les populations parfois victimes des cas d’arnaques de masses auprès de certaines micro-assurances et microfinances sont désormais méfiantes et font très peu confiance aux mutuelles de santé.
Quelques déterminants de l’adhésion et du renouvellement des micro-assurances auprès des mutuelles de santé
Investiguant les stratégies visant l’adhésion aux mutuelles de santé, Bonan & al. 2012 ont montré que l’éducation à travers la sensibilisation à l’assurance n’a pas d’impact significatif sur la souscription à l’assurance maladie, tandis que l’approche marketing a un impact important et positif sur les décisions d’adhésion des ménages. La nécessité d’entretenir la confiance auprès des populations semble aussi être un élément déterminant pour stimuler la demande des mutuelles de santé notamment auprès des populations vulnérables dont la plupart sont dans le secteur informel. Dror & Firth 2014 explique que les populations du secteur informel qui sont la cible des mutuelles recherchent une amélioration de leur bien-être en s’affiliant à des groupes auxquels ils s’identifient plutôt qu’en passant par des transactions isolées avec des partenaires qu’ils ne connaissent pas. Ainsi, ces auteurs suggèrent que pour accroître la demande d’assurance maladie dans le secteur informel dans les pays en développement, il est d’abord nécessaire de renforcer une gouvernance de groupe cohérente avec une prise de décision de groupe et sous des conditions locales.
L’innovation au service du développement de la micro-assurance
En 2023 une ONG a un introduit le projet Innovation pour la Santé des Personnes en situation de Vulnérabilité en Afrique (ISPV-Africa) au Togo. Il s’agit d’une innovation qui vise à rendre possible l’accès à une assurance maladie au plus grand nombre de personnes vulnérables en leur garantissant un ensemble de services variés et de qualité tel que le paiement de l’adhésion et des cotisations en ligne, la facilitation médicale au centre de santé, les visites à domicile pour le suivi et les conseils santé.
Le projet intègre trois composantes portées par trois organisations partenaires :
- Un accueil et un accompagnement dans les centres de santé ainsi que des visites à domiciles pour le suivi médical, la prise régulière des paramètres vitaux et les conseils santé pour la prévention.
- Le carnet de santé numérique : un historique médical transcrit dans une application mobile.
- Une offre de mutuelle à tarif solidaire : une couverture directe pour 75% des frais de santé et un remboursement en temps réduit des prestations à son réseau de prestataires de soins.
L’articulation entre les visites à domicile, la prise des paramètres vitaux, les conseils santé concourt à consolider la prévention alors que le service de facilitation médicale au centre de santé, l’utilisation de l’historique de santé grâce à l’application, l’arbitrage instantané du médecin conseil, le remboursement rapide des prestations vont concourir à accélérer et faciliter la prise en charge curative des assurés.
Quelques leçons apprises de la mise en oeuvre du projet ISPV-Africa
La phase pilote du projet ISPV-Africa a été mis en oeuvre de juillet 2023 à février 2024 suivant
une approche expérimentale avec la constitution d’un groupe contrôle et d’un groupe de traitement. Cette conception a permis d'évaluer la faisabilité d’une évaluation d’impact rigoureuse à une échelle plus large sur le projet et de comprendre les déterminants de demande d’assurance santé au sein des populations cibles. Les leçons apprises de la phase pilote sont les suivantes :
- La mise en oeuvre de projet réunissant plusieurs acteurs requiert la mise en place d’un partenariat pleinement murir et qui tient compte des différences de culturelles institutionnelles de chaque acteur. Un accent doit être également mis sur le suivi évaluation des activités et les approches fonctionnelles de communication et de remontée de données de routine.
- La faible compréhension de l’avantage tangible de l'assurance, renforcé par les mauvaises expériences passées constituent des facteurs qui favorisent une faible adhésion et un faible taux de renouvellement des services de micro-assurance. La communication ciblée à travers des messages directs et des approches de marketing, le partage d’expérience positive de bouche à oreille est plus efficace que la communication grand public dans les médias, les marchés et autres espace public.
- Les services de facilitation au centre de santé et surtout à domicile avec la prise régulière des paramètres vitaux et les conseils santé ont été des facteurs déterminants de l’adhésion des populations. Cependant leur opérationnalisation requiert une bonne formation des agents facilitateurs, une bonne capacité organisationnelle et un bon niveau de planification.
- L’attractivité du paquet de soin est un élément déterminant à l’adhésion et surtout à la fidélisation des adhérents aux mutuelles de santé. Il est nécessaire de proposer plusieurs paquets de soin aux adhérents afin de leur donner des alternatives.
- Pour des interventions multi-composantes de type ISPV-Africa qui combine plusieurs services et mobilise d’importantes ressources, le coût réel des services offerts si l’intervention est implémentée dans les conditions optimales est largement au-dessus des tarifs pratiqués au regard de la population cible. Ainsi pour garder la même cible des personnes vulnérables et sachant qu’elles ont des capacités financières limitées il est nécessaire de mobiliser davantage de ressources pour supporter le gap de financement non couvert pas les cotisations des adhérents.
1 World Health Organization (WHO). 2023. “UHC Global Monitoring Report.”
2 WHO 2007.
3 Asfaw & Jütting. 2007
4 Habib & coll. 2016
5 Pre-project ISPV-Africa stakeholder diagnostic study
6 Bonan et al. 2012
About the author: Bio Bertrand Mama is an Evaluation Specialist at 3ie. Bio is an economist with ten years' experience in the field of economics and development. He is currently Evaluation Specialist for the International Initiative for Impact Evaluation (3ie), a global leader in funding, producing, quality assuring and synthesizing rigorous evidence. As Evaluation Specialist, Bio is leading research activities such as impact and process evaluations, literature review, evidence synthesis, etc. He is also working with country governments and different stakeholders in the West African Economic and Monetary Union (WAEMU) to provide tailored capacity building activities for policymakers and rigorous evidence for decision making.
Prior to joining 3ie, Bio worked as research officer for the Prime minister office of Benin, contributing to economic analysis and public policies evaluation. He believes that evidence-based policymaking is crucial for inclusive growth and poverty reduction in developing countries. Bio holds a master's degree in economics from the African School of Economics (ASE). He has an interest in research on public policies.
Co-authors: Anca Dumitrescu, Lead Evaluation Specialist, 3ie; Charlotte Lane, Evaluation and Learning Consultant, Food Security Evidence Brokerage; Binta Ndiaye, Research Assistant, 3rd